La technique bonsaï, née en Chine et perfectionnée au Japon, est liée à ce que les orientaux appellent seishi: l’art de donner une forme, de cultiver, de pratiquer les techniques les plus variées en respectant toujours la plante.
Les bonsaïs sont donc de la nature vivante, de petits arbres qui, malgré les dimensions contenues, expriment toute l’énergie qui est renfermée dans une grande plante.
Le bonsaï est une œuvre d’art jamais terminée: la plante continue à pousser, à se modifier et il faut donc veiller sur elle constamment.
Il est très important qu’un bonsaï évoque pour qui le regarde une sensation de force, de maturité, et notamment de profonde paix et de sérénité.
Maintenant arrêtons-nous juste un instant et demandons-nous: le bonsaï est-il une précise reproduction d’un vrai arbre?
Certainement pas, il n’y a ni insectes, ni oiseaux qui ne se posent sur ses branches, il ne fait pas partie d’un écosystème et puisqu’on l’observe de haut en bas il ne reproduit pas la même perspective qu'un vrai arbre.
Cependant notre bonsaï nous offre la possibilité d’avoir une relation particulière avec l’arbre réel qu’il représente, et cette relation, pour être maintenue, a besoin de soins continus et spécifiques afin qu’il puisse toujours continuer à nous donner l’illusion d’être, à sa façon, vrai.
La création et l’entretien d’un bonsaï reposent sur le même processus que la création musicale chez soi.
Miniaturiser pour étendre c’est cela le paradoxe de l’art: alors que la musique est miniaturisée, et elle l’est toujours, elle peut aussi acquérir et étendre en intensité et en pathos, indépendamment de la nouvelle dimension acquise.
Nous devrions évoluer, de l’aspiration utopique de recréer l’événement réel chez soi à l’accessible réalité d’un sublime bonsaï musical.
J'ai toujours été fasciné par le fait de recréer en petit la capacité évocatrice du grand.
J’ai toujours deviné, en dépit des limitations physiques, les incroyables potentialités d’une petite enceinte, des petits haut-parleurs, sans comprendre le pourquoi de cette potentialité qui, bizarrement alors, n’arrêtait jamais de me convaincre.
Aujourd’hui tout m’apparaît rationnellement : c’est la beauté de la limitation.
Sans limitation il n’y a pas d’art, elles sont bien connues les limitations des petites enceintes et on s’attend toujours à peu de leur part, mais c’est peut-être cela qui les rend magiques, leur capacité à recréer à travers une sublime reproduction du registre moyen, une magie musicale qui, souvent, est inconnue aux systèmes de grande dimension très étendus.
La mission du concepteur, et ensuite de l’utilisateur, est de savoir extraire des émotions de ce qui peut paraître peu disponible: jamais, dans n’importe quelle forme d’art, la nécessité de miniaturiser a représenté une limite dans la tentative de répliquer l’essence du réel, c’est même plutôt le contraire.
D'une recherche initiale et simpliste de fidélité absolue à l'événement original, aujourd’hui la science de la reproduction audio à tendance à la re-creation d’un évènement générateur d’émotions et de participation, une forme d’art qui met l’utilisateur passionné dans le double rôle de créateur et bénéficiaire de l’œuvre. L’enceinte acoustique acquiert un rôle fondamental dans la tentative de traduction d’un événement en une émotion.
Il est inutile de répéter que n’importe quelle enceinte acoustique est un compromis.
J’ai écouté et utilisé récemment les Quad ESL 57: comment fait-on pour ne pas admettre qu'elles ont des limitations ? Cependant, même aujourd’hui, ce sont des références pour la naturalité du registre moyen !
Toutes les typologies d’enceintes sont des compromis: les haut-parleurs large bande, compromis sérieux… mais qui font des choses que d’autres ne peuvent pas faire; les grandes enceintes à chambre de compression, compromis sérieux également mais ici encore qui peuvent faire des choses dont les autres sont incapables !
Si on crée de grandes enceintes, nous aurons à faire avec de grands meubles qui absorbent l'énergie, et avec des problèmes de cohérence pour la multiplicité des voies.
Si on cherche un haut rendement, on va perdre de la profondeur dans le registre grave et nous courons le risque d’avoir des colorations.
Il ne faut surtout pas oublier le problème principal, la relation entre l’environnent et l’enceinte acoustique, ce qui est une épreuve pour les enceintes avec une extension du registre grave très profonde.
Toutes les enceintes ont leur personnalité qui, toutefois, n’est pas dissociable de celle de leurs appareils complémentaires et de l’environnement d’écoute où elles s’expriment.
Le vrai problème n’est pas la technologie de tel ou tel appareil mais l’accordage du tout.
L’accord est le fondement de la musique, l’accordage est le fondement d’un instrument musical, l’accordage est aussi le fondement d'un reproducteur de musique qu’il s’agisse d’un seul élément ou du système complet.
Accord du filtrage, accord des haut-parleurs, accord de la caisse, accord de la qualité des composants, une reproduction musicale qui veut faire participer l’auditeur ne peut pas faire abstraction de l’accord de la singularité et de la multiplicité de ses parties.
Quel est le but ?
La qualité de l’illusion!
Il est paradoxal que, souvent, la qualité de l’illusion soit compromise par la tentative de s’approcher de la réalité, comme par exemple le fait de vouloir convertir en couleur un film ou une photo en noir et blanc !
Une image en noir et blanc peut avoir une puissance évocatrice qui lui serait normalement impossible d’avoir à cause de ses évidentes limitations.
Dans ce cas aussi l’accord est fondamental: la très fine analyse et la mise au point de la gradation des tonalités, le contrôle du photogramme, la cohésion des gris, sont générés par l’accord optimal de tous les éléments techniques: les optiques, le papier, le développement, l’impression, etc.
Si un détail change, il faut tout revoir !
Il y a une interdépendance entre le processus photographique et la procédure d’assemblage d’un élément ou d’un système audio complet.
Tout est finalisé à la création d’une métaphore et non pas à la création de la réalité ou du réalisme.
Et c’est justement la qualité de cette métaphore qui compte.
La nécessité d’une limite afin que l’imagination puisse émerger et dominer est une propriété fondamentale de l’essence de la métaphore!
Franco Serblin
Avec Franco depuis la fondation de Sonus Faber dans la première moitié des année 80, nous avons partagé certains principes de base concernant l’art de la reproduction musicale.
Cet article, élaboré et rédigé ensemble, reprend la summa de sa propre pensée, et il était destiné à être publié dans la brochure des enceintes “Accordo”, sa dernière œuvre, par laquelle il avait choisi de retracer son parcours initial de simplicité et beauté.
Cet écrit, s'il reprend parfaitement sa pensée et la philosophie qui l'avait inspiré, fût considéré par Franco, de part sa modestie innée et son humilité, excessivement prétentieux, et il ne voulut pas qu’il soit publié.
Giuseppe Scardamaglia
Traduction par Matteo Rinadi et Anne-Hélène Chereil